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Observatoire Chrétien de l'Entreprise et de la Société L'OCHRES exerce une mission d'observation des problèmes économiques et sociaux, particulièrement de ceux qui relèvent des interactions entre l'entreprise et la société.

Observatoire Chrétien de l'Entreprise et de la Société

L'OCHRES exerce une mission d'observation des problèmes économiques et sociaux, particulièrement de ceux qui relèvent des interactions entre l'entreprise et la société.

 
 
 
 
 

Obsolescence programmée : une société du gaspillage ?

 

Un documentaire de Cosima Dannoritzer, diffusé récemment sur Arte(1), a attiré notre attention sur le phénomène de l’obsolescence programmée. D’une façon plus générale, l’obsolescence de plus en plus rapide des biens de consommation, que nous constatons tous quotidiennement, conduit à une réflexion sur notre civilisation, sur nos comportements de consommateurs et sur les conséquences que cela entraîne .


De quoi s’agit-il ?

L’obsolescence programmée consiste pour des fabricants à concevoir les produits de telle façon que leur durée de vie soit limitée par rapport à ce que permettrait la technique. Ainsi, les consommateurs sont obligés de les renouveler plus fréquemment .

Quelques exemples sont cités dans le documentaire :

 

·L’ampoule électrique à incandescence : alors qu’en 1924 sa durée de vie atteignait fréquemment 2500 heures, cette durée a été « harmonisée » par un cartel occulte nommé « Phoebus » et maintenue par le industriels à 1000 heures dans le monde entier, alors que des brevets existaient sur des ampoules d’une durée de vie allant jusqu’à 100 000 heures.

 

·Le bas nylon : mis sur le marché par DuPont dans les années 1940, il était si résistant que les ventes se sont effondrées, faute de besoin de renouvellement. En modifiant la formulation (notamment en réduisant le dosage de certains additifs destinés à protéger le polymère des UV), les bas se remirent à filer.

 

·Les imprimantes : certaines sont équipées d'une puce compteur, bloquant l'impression au-delà d'un nombre convenu de feuilles. Ces données figurent bien souvent dans le cahier des charges de l'imprimante. Certaines cartouches d'encre sont également équipées d'une puce comptant le nombre d'impressions, indiquant alors un faux niveau d'encre dans le logiciel d'impression, ce qui amène à jeter des cartouches contenant encore de l'encre .

 

·Certains smartphones ou tablettes sont équipés de batteries non remplaçables, prévues pour durer 18 mois . Si la batterie est défaillante, on conseille de changer l’appareil .

Au-delà de ces exemples, nous avons tous fait l’expérience d’appareils (souvent électriques ou électroniques) soigneusement conçus pour ne pas pouvoir être réparés. Le diagnostic imparable du service après vente est, presque systématiquement : « il vaut mieux en racheter un neuf… ».


Autres types d’obsolescence

Il existe différentes variantes d'obsolescence programmée. Certaines impliquent d'ajouter sciemment des défauts de conception au produit vendu (il ne s'agit pas alors à proprement parler d'obsolescence, mais de défectuosité) ; d'autres formes plus psychologiques tentent plutôt de dévaloriser l'image du produit auprès des consommateurs. Voici un tour d'horizon non exhaustif des mécanismes utilisés par les industriels:

Défaut fonctionnel : Lorsqu'une pièce ne fonctionne plus, l'ensemble du produit devient inutilisable. Si le coût de réparation, constitué du prix de la pièce de remplacement, du coût de la main d'œuvre et des frais de transport, s'avère supérieur au prix d'un appareil neuf vendu dans le commerce, il devient alors onéreux de vouloir réparer l'appareil endommagé.

L'utilisation de plastique au lieu du métal fera en sorte que le produit se brise plus facilement.


Obsolescence indirecte : Certains produits deviennent obsolètes alors qu'ils sont totalement fonctionnels de par le fait que les produits associés ne sont pas ou plus disponibles sur le marché. C'est le type d'obsolescence programmée le plus courant en ce qui concerne les téléphones mobiles : un téléphone en parfait état devient inutilisable lorsque sa batterie ou son chargeur ne sont plus offerts sur le marché, ou simplement parce que racheter une batterie neuve serait économiquement non rentable. De la même façon certaines imprimantes deviennent de facto obsolètes lorsque le fabricant cesse de produire les cartouches d'encre spécifiques à ces modèles. On peut également citer l'exemple d'un vieux moteur de voiture rendu inutilisable du simple fait qu'il est impossible de trouver des pièces de rechange.  L'arrêt de la production de pièces détachées est un levier puissant à la disposition des industriels. Le choix d'abandonner la production ou la commercialisation des produits annexes (cartouches, pièces détachées, batteries, etc. ) complique la tâche de maintenance et de réparation, jusqu'à la rendre impossible.

Une telle pratique est appuyée par la non-communication des spécifications, et la lutte juridique au travers des brevets qui empêchent un tiers de satisfaire la demande volontairement créée par l'industriel.


Obsolescence par incompatibilité : Principalement observée dans le secteur de l'informatique, cette technique vise à rendre un produit inutile par le fait qu'il n'est plus compatible avec les versions ultérieures. Dans le cas d'un logiciel, le changement de format de fichier entre deux versions successives d'un même programme suffira à rendre les anciennes versions obsolètes puisque non compatibles avec le nouveau standard.


Obsolescence technique subjective : Pratiquée très largement par une marque d’électronique (dont le logo est une pomme), elle consiste à sortir fréquemment de nouveaux produits comportant quelques améliorations mineures par rapport aux précédents et à communiquer très largement sur ces nouveautés, rendant ainsi désuet le produit précédent et suscitant chez le consommateur le désir d’acquérir le nouveau produit.


Obsolescence esthétique :Certains produits (notamment les chaussures et les vêtements) subissent une obsolescence subjective. Les modes vestimentaires et les critères d'élégance évoluent rapidement, et les vêtements perdent leur valeur simplement parce qu'ils ne sont plus « à la mode ». Certains fabricants exploitent ce principe en lançant des opérations marketing et des campagnes publicitaires dont le but est de créer des modes et d'en discréditer d'autres.


Historique

Le modèle économique fondé sur l’obsolescence et un renouvellement rapide des produits est né, sans surprise, dans l’Amérique des années 30. A cette époque, où l’on ne pensait pas manquer de pétrole ni de matières premières, où la question des déchets ne se posait guère, la priorité était de sortir de la grande dépression et d'aider les chômeurs à sortir de la misère en stimulant ainsi la consommation des ménages. Un projet de loi visant à limiter la durée d'utilisation des produits manufacturés, prévoyant une peine d'amende en cas de non-respect, fut même proposé mais ne fut jamais voté.

Ce modèle a repris son essor au milieu des années 1950, en conférant au design le rôle de rapidement démoder le produit. Il sera popularisé par le designer industriel Brooks Stevens. Comme ses prédécesseurs, il souhaite non pas faire des produits de mauvaise qualité, mais les renouveler tous les ans via la mode. Il produit de nombreux objets (voitures, motos, tondeuses, aspirateurs et autres articles ménagers…) dont les modèles sont sans cesse renouvelés. Selon B. Stevens, il faut « inculquer à l'acheteur le désir de posséder quelque chose d'un peu plus récent, un peu meilleur et un peu plus tôt que ce qui est nécessaire » . Depuis les années 60, l’expression est devenue courante et le modèle aujourd’hui mondial .



Conséquences

Les techniques d'obsolescence programmée reposent sur deux principes fondamentaux :

 

·Le fabricant doit être en situation de monopole ou d'oligopole. En effet, lorsque le marché est dynamique et réellement concurrentiel, il est difficile d'imposer aux consommateurs des produits ayant une durée de vie limitée. Ainsi, les techniques d'obsolescence forcée sont plus facilement utilisées dans les secteurs technologiques à faible concurrence. Par exemple, sans qu'il y ait d'accords officiels entre eux, les grands constructeurs de téléphones mobiles semblent avoir fixé à deux ans la durée de vie de leurs produits.

·La durée de vie programmée de l'appareil doit rester secrète. Le consommateur ne doit pas être informé de la durée de vie de l'appareil qu'il achète. Il ne doit pas non plus savoir à l'avance où se situe le défaut de conception. En effet, si ces données étaient rendues publiques par les constructeurs, elles auraient un impact sur le choix des consommateurs.


Les défenseurs de l'obsolescence programmée avancent que cette technique dynamise le marché et crée des conditions favorables aux entreprises innovantes. Connaître (et provoquer) la fin de vie d'un produit permet d'anticiper et prévoir l'évolution des ventes sur le long terme, ce qui réduit les risques économiques et donc facilite la planification des investissements industriels.


D’une façon plus générale, dans une société ou la richesse et le bien-être se mesurent en P.I.B., le renouvellement rapide des produits entraîne une hausse de la consommation et, en conséquence, de la production.


Et cependant, dans ce monde fini qui est le nôtre, ce renouvellement accéléré a des effets dévastateurs(2) :


·Les matériels électroniques consomment de très grandes quantités de matières premières non renouvelables comme les métaux, mais aussi beaucoup de pétrole. L’épuisement des ressources naturelles est aujourd’hui un sujet très préoccupant. L’OCDE a estimé que les réserves de cuivre, plomb, nickel, argent, étain et zinc ne dépasseraient pas 30 années, l’aluminium et le fer se situant entre 60 et 80 ans. Outre les impacts directs sur la biodiversité, cette surconsommation de matières premières a des conséquences humaines et sanitaires désastreuses sur les populations locales. Elle contribue aussi largement au réchauffement climatique. Et il n’est pas exclu qu’elle devienne à l’avenir le lit de tensions géopolitiques, comme c’est déjà le cas au Congo avec le coltan.


·La question des déchets d’équipement électriques et électroniques (DEEE) reste une préoccupation majeure tant du point social qu’environnemental. Des millions de tonnes de déchets toxiques finissent leur vie accumulés dans des décharges sauvages des pays du Sud (notamment au Ghana qui est devenu ces dernières années l’une des principales terres d’accueil des déchets électroniques en provenance d’Europe et des Etats-Unis. Des milliers d’ordinateurs hors d’usage y sont désossés et brûlés en plein air par des adolescents, dans des décharges insalubres. Objectif : récupérer le cuivre, revendu ensuite à l’étranger. Un business illégal mais toléré, aux conséquences dramatiques sur l’environnement et la santé des ouvriers. )


Le dernier billet de GreenIT.fr sur ce sujet relate qu’en 2008, seulement 30% des DEEE avaient été traités via une filière adaptée, ce qui signifie que la majeure partie est incinérée ou mise en décharge.  Par ailleurs,  les filières de recyclage des DEEE doivent gagner en efficacité : à la fois pour optimiser le taux de réemploi et de recyclage des composants (comme les plastiques), mais aussi pour améliorer le traitement des pollutions induites par ces opérations.


Conclusions

Il est clair que ces constatations ne peuvent qu’alerter et inquiéter les « citoyens de la Terre » que nous sommes . Point n’est besoin de militer dans un parti écologiste pour se rendre compte que, dans une croissance économique et démographique qui est la nôtre, le modèle est difficilement soutenable à terme de quelques années. Quelles pourraient être les pistes pour réduire l’utilisation de matières premières et la production de déchets ?


·Augmenter par voie réglementaire la durée de garantie des produits, pour contraindre les fabricants à concevoir des produits plus durables et plus facilement réparables .


·Soutenir la réparation qui représente des métiers artisanaux et de nombreux emplois.


·Améliorer la qualité du service après-vente . A titre d’exemple, un réparateur situé dans le sud de la France s’est équipé pour changer le composant défectueux sur une carte électronique de gros appareil électro-ménager au lieu de changer la carte entière .


·Revoir et mieux valoriser les filières de recyclage des DEEE . Inclure dans le coût d’achat des produits le coût de leur recyclage.


·Mieux contrôler les exportations « sauvages » de matériel informatique hors d’usage.


Enfin, à titre individuel, revoir notre attitude de consommateur, adopter un mode de vie plus « sobre » : est-il nécessaire de racheter un nouvel appareil ? est-il nécessaire de changer de téléphone portable tous les 18 mois (moyenne en France) , même si le nouveau modèle propose un meilleur appareil photo ?

Nous sommes là tous concernés.


F. Malrieu



 

1)Cosima Dannoritzer, Prêt à jeter, documentaire, 2010, 75 minutes (The Light Bulb Conspiracy).

 (2)L’obsolescence programmée, symbole de la société du gaspillage - Rapport Cniid et Les amis de la Terre – septembre 2010



 
Dernière modification : 27/06/2011