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Commentaire de l’actualité de septembre à novembre 2020
En France
En apprenant l’assassinat de Samuel Paty, je me suis souvenu une fois encore des paroles si claires prononcées par l’archevêque de Paris après les attentats de 2015, par lesquelles il avait condamné les criminels qui se cachent « sous les oripeaux de la religion ».
Comme en 2015, le ministère de l’Education nationale a dressé un bilan des incidents recensés dans les établissements, lors de l’hommage rendu au professeur. D’après ces remontées, le nombre d’incidents s’élève à 793, donc nettement plus nombreux que cinq ans auparavant. On peut supposer que ce chiffre sous-estime la réalité, car certains enseignants ont sans doute préféré s’abstenir de toute remontée. Ces incidents recensés en tant qu’ « atteintes au principe de laïcité » se sont produits pour 71 % d’entre eux dans les écoles primaires et les collèges. Leurs auteurs sont des élèves dans 90 % des cas, et des parents ou des individus extérieurs à l’établissement dans 10 % des cas.
Quant à la nature des faits, ils ont été classés ainsi : 20 % en provocations, 20 % en contestations, 17 % en apologie du terrorisme, 12 % en refus de participer, 5 % en menaces, 9 % en perturbations de l’hommage, et 17 % en autres.
Des sanctions ont été décidées dans 107 cas sur 793 : 44 exclusions définitives, 131 exclusions temporaires, 4 blâmes, 48 avertissements. La police a reçu 286 signalements, et les procureurs 136.
On peut s’interroger sur la pertinence de ranger tous ces incidents dans un grand sac des atteintes à la laïcité. S’agit-il vraiment de cela ? Ce mot laïcité trop galvaudé ne sert-il pas de paravent à des réalités beaucoup plus triviales, plus proches des incivilités ou même d’une zone grise de prédélinquance ?
Dans son discours d’hommage au professeur assassiné, le président Macron a dit à juste titre que Samuel Paty « fut la victime de la conspiration funeste de la bêtise, du mensonge, de l’amalgame, de la haine de l’autre ». Il a aussi déclaré : « Nous ne renoncerons pas aux caricatures, aux dessins, même si d’autres reculent ». Et il a conclu par ces mots : « Nous continuerons ce combat pour la liberté et pour la raison dont vous êtes le visage (…), parce qu’en France, Professeur, les Lumières ne s’éteignent jamais ».
Il y a là un débat à la fois philosophique et politique. Est-il opportun d’afficher des caricatures au fronton de mairies et sur des tracts ? Oui selon les uns, notamment l’avocat du célèbre journal satirique (il revendique « la liberté d’emmerder Dieu »). Non selon les autres, par exemple la philosophe Chantal Delsol, pour qui la diffusion des caricatures « ne sert qu’à nous faire plaisir en aggravant les choses, autrement dit en jetant dans l’indignation une population musulmane non terroriste mais croyante ». Elle précise qu’« il ne s’agit pas d’autocensure par lâcheté, mais de restriction par délicatesse ».
Cette deuxième approche me parait plus judicieuse. Pour autant, je comprends qu’on puisse voir dans cette position une ressemblance avec la politique d’apaisement au sens où Chamberlain l’entendait vis-à-vis de l’Allemagne hitlérienne, et qui trouva son apogée à Munich en 1938.
Lorsque la pandémie sera terminée et que tomberont (peut-être) les masques, les femmes voilées vivant par exemple en Europe renonceront-elles au voile intégral, par délicatesse ?
Un autre aspect des relations entre religion et société a retenu l’attention. Cette étonnante décision annoncée par le président de limiter les cultes à 30 personnes de façon générale et absolue. Comment le sommet de l’Etat a-t-il pu ainsi piétiner en même temps le bon sens et un principe juridique élémentaire ? L’explication tient-elle à l’influence d’un courant de pensée laïciste, plus soucieux d’animer la suspicion à l’égard des religions que de rester fidèle à l’esprit de 1905 en matière de libertés publiques ? Toujours est-il que cet épisode jette rétrospectivement une lumière crue sur le discours des Bernardins du chef de l’Etat qui, à l’époque, avait beaucoup surpris par la hardiesse de sa bienveillance à l’égard de l’Eglise.
L’entretien avec VGE réalisé en 2015 par Frédéric Mitterrand constitue un document très intéressant. Pas seulement parce que l’ancien président raconte avoir failli se faire dévorer par un crocodile lors d’un séjour en Afrique. Aussi parce qu’il contient des commentaires savoureux sur les événements et sur les personnes. Je pense à ce chassé-croisé entre le vainqueur du 10 mai 1981 et son prédécesseur, quinze ans pendant lesquels alterneront fâcheries et amabilités, grands gestes et petitesses, mépris et réconciliations. Ou encore ces portraits d’homologues étrangers brossés en quelques mots par celui qui voulait promouvoir le changement, la simplicité, l’Europe, et la France « puissance moyenne » en accédant à l’Elysée.
Un point m’a particulièrement frappé : l’évidence tranquille avec laquelle l’auteur du documentaire affirme ou rappelle que l’affaire dite des diamants de Bokassa, qui contribua certainement à priver VGE de son second mandat, ne reposait sur quasiment rien et que « tout le monde le savait ».
Sur la scène internationale
Le grand imam d’Al Azhar a condamné l’assassinat de Samuel Paty, tout en assortissant son propos d’une demande de loi internationale contre le blasphème, et en affirmant qu’insulter la religion est un crime. Nous en sommes là : celui qui signa en 2019 avec le pape François un Document sur la fraternité pour la paix mondiale et la coexistence commune, théorise maintenant l’équivalence d’un assassinat et d’une moquerie caricaturale d’une religion. A t-il oublié que la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par l’ONU en 1948 attribue à tout être humain aussi bien le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion que le droit à la vie , à la liberté et à la sûreté ce sa personne ? Et que dire alors des pays qui interdisent toute religion autre que l’islam ?
Sauf erreur, les paroles de cette grande figure spirituelle de l’islam ont marqué le point de départ d’une série de déclarations anti-françaises proférées par des pays musulmans, y compris par des gouvernements de pays réputés modérés.
Et la presse des USA n’a pas manqué de s’engouffrer dans la brèche, en étalant de nouveau son incompréhension de la laïcité française. Un haut responsable américain n’a pas hésité à dire publiquement son inquiétude pour la liberté de religion en France !
J’ai tendance à préférer Biden à son prédécesseur dangereux et transgressif, mais je reste sans illusion sur l’orientation générale de la première puissance : elle va continuer à déverser sur le monde sa way of life , et les courants extrémistes à l’œuvre chez elle trouveront de ce coté de l’Atlantique des relais complaisants chez les nombreux architectes de la « déconstruction ».
Faute d’avoir lu la nouvelle encyclique Fratelli Tutti, je me borne à noter ceci : ce texte du pape rappelle que les religions doivent « reconnaître les valeurs fondamentales de la commune humanité, valeurs au nom desquelles on peut et on doit collaborer, construire et dialoguer, pardonner et grandir, en permettant à l’ensemble des diverses voix de former un chant noble et harmonieux, au lieu de hurlements fanatiques de haine ».
Dans son encyclique, le pape François souligne à plusieurs reprises l’importance qu’il attache à la Déclaration de 2019 citée plus haut, qu’il a signée avec l’imam d’Al Azhar.
Antoine Sebaux