logo-ochres

 

Observatoire Chrétien de l'Entreprise et de la Société

L'OCHRES exerce une mission d'observation des problèmes économiques et sociaux, particulièrement de ceux qui relèvent des interactions entre l'entreprise et la société.

 
 
 
 
 
 

L’Eglise et les entrepreneurs, nouveau regard Economie et Entreprise Crise économique et transition écologique

Ceux d’entre nous qui, cet été, ont eu l’occasion de discuter avec des responsables d’entreprises ont pu percevoir à quel point le recrutement de salariés ou d’apprentis est devenu un sujet d’inquiétude. Deux points sont revenus régulièrement dans les conversations : on ne trouve personne - alors qu’il y a encore autour de trois millions de chômeurs et que 80% d’une classe d’âge a désormais le baccalauréat - ; ceux qui viennent, qu’il s’agisse de salariés ou d’apprentis, s’investissent peu et regardent les autres travailler en attendant la paye. Cette situation, en réalité massive, porteuse de risques graves, n’est pas satisfaisante et devrait obliger tout un chacun à s’interroger, car il semble de plus en plus probable qu’elle n’est pas seulement due aux insuffisances du marché du travail ou à l’inadaptation du système scolaire.

 

1 - La situation est générale

· Elle est partagée par beaucoup de secteurs : on la constate dans les entreprises privées comme dans les administrations ; dans des métiers aussi divers que la restauration, le transport, l’enseignement, la santé, l’informatique, … ; pour les emplois peu qualifiés tout autant que chez les cadres ; à la ville comme à la campagne ; …

· Mais cette situation se constate aussi dans d’autres pays occidentaux : la France compterait environ un million d’emplois non pourvus, l’Allemagne deux, la Grande-Bretagne un million trois cent mille, les États-Unis onze, …

 

2 - Les causes invoquées sont partielles

· On ne peut pas contester que les déficiences du marché du travail (salaires, conditions de travail, perspectives d’évolution, offres de formation, management par les chiffres, …) ont leur part de causalité dans cette situation ; tout autant que l’adaptation insuffisante de l’école au monde professionnel.

· Mais beaucoup d’efforts ont été faits pour y remédier (politiques salariales, formation tout au long de la vie, réforme de Pôle Emploi en France, apprentissage, …) et la situation ne s’améliore pas vraiment.

· Et l’on en vient à douter de la pertinence des aides en tout genre qui ont d’ardents défenseurs, mais qui, pour d’autres, sont une cause importante du refus de s’engager dans l’emploi. Une autre pièce vient alimenter le dossier : un rapport récent pointe en France la hausse continue de l’absentéisme, en lien avec le désengagement.

 

3 -La dynamique est négative et touche principalement les jeunes générations

· La génération des 15-24 ans compte en moyenne 57 mille chômeurs pour chaque année de naissance, contre 50 pour les 25-49 ans et 35 pour les 50-65 (la population totale par année de naissance est légèrement inférieure chez le 15-24 ans).

· La population active dans cette première tranche d’âge est de 37%, en tendance légèrement baissière

· Parmi les bénéficiaires du RSA, 18% appartiennent à la tranche 25-29 ans, soit en moyenne 3,6 par année de naissance, contre 29% pour la tranche suivante (30-39 ans), soit 2,9% par année de naissance.

 

4 -La situation est porteuse de risques lourds

· C’est une menace pour l’activité économique : diminution des prises de commandes et ralentissement de leur traitement ; craintes pour l’avenir de petites entreprises qui ne peuvent remplacer les collaborateurs qui partent (1); mise en péril de certains secteurs : restauration, bâtiment, …(2) ; difficulté pour faire face à des besoins urgents ou prioritaires ; ...

· C’est aussi une menace pour la cohésion sociale : certains voudraient ouvrir plus largement le pays à l’immigration, comme le font les Allemands et les Espagnols, mais on voit les réactions très négatives qui peuvent en venir en France ; il se crée aussi, à tort ou à raison, un clivage entre ceux qui travaillent et sur qui le poids du travail vient se répartir, d’une part, et ceux qui « vivent de la charité publique », d’autre part, bref, une sorte de néo-poujadisme.

 

5 -Savons-nous dire et montrer positivement le travail ?

· On ne peut pas en rester là et dire qu’on a tout tenté. Au-delà des remèdes techniques, des questions de nature culturelle se posent ; on ne donne ici que des réflexions liminaires, car le sujet doit être pris en main de façon sérieuse et documentée. Mais sortir des seules invocations techniques enlève une part du problème aux experts du secteur, seuls ayants-droits de la réflexion..

· Il faut sans doute l’admettre : il y a des pans entiers, surtout dans les jeunes générations, à qui on n’a pas su parler du travail avec des termes justes. Nous avons fabriqué des cohortes d’ergophobes, dont l’afflux massif des jeunes dans les universités pourrait être une des expressions. Pourtant, près de 80% des salariés déclarent aimer leur travail (sondage CFDT en 2017) et environ les deux-tiers des salariés aiment leur entreprise (un peu moins les administrations).

· Comment parlons-nous du travail à la maison ? Quelle image de la vie professionnelle montrent les enseignants et que disent-ils de positif de l’entreprise ou de l’administration ? Quand donc les syndicats, les médias, les candidats aux fonctions politiques mettent-ils en valeur le travail et le monde professionnel ? Quels ponts prometteurs les entreprises et l’Éducation nationale construisent-ils entre eux ? …

· Peur devant les évolutions techniques, menaces pour la vie de famille, exploitation des salariés par les patrons, corruption, inégalités récurrentes, stress et burn out, …, et tout cela pour contribuer à un monde qui violente la nature et empêche la paix : peut-on plus méthodiquement construire des personnalités rétives devant l’engagement professionnel ?

· A contrario, quelle promotion des loisirs, de la fête, de l’importance de la nuit et de la fin de semaine pour connaître « la vraie vie » ! Quelle promotion du moi ! Quelle prédominance de la consommation du temps présent !

 

6 -Quelles pistes pour un changement d’état d’esprit ?

· Évidemment améliorer les conditions générales de travail (salaires, équipements, horaires, relations humaines, …)

· Mieux porter ensemble les souffrances endurées dans le cadre du travail ?

· Éduquer pour le travail, pour toutes les dimensions du travail, tant à l’école qu’à la maison ?

· Favoriser l’entrée plus précoce dans le monde du travail ?

· Mieux comprendre les raisons pour lesquelles tant de salariés se disent heureux au travail et en tirer de bonnes pratiques ?

· Apprendre aux médias et aux responsables publics à parler du travail autrement ?

· Comprendre le lien possible entre les évolutions de la famille et l’aversion face au travail ?

Dans cette difficulté à vivre le travail, il y a sans doute des situations provisoires, circonstancielles, que l’on peut espérer traiter sans trop de peine ; mais il y a un lit sous-jacent qui tend à se solidifier, amenant des questions essentielles comme le sens de la vie, le pour quoi des liens sociaux, la construction de soi, … C’est sans doute un « virage sur l’aile » dans la compréhension de la fécondité du travail qui s’avère souhaitable, auquel le courant social-chrétien pourrait contribuer, non pas en récitant un catéchisme qui ne parle plus forcément, mais en incitant à une nouvelle exploration qui prendrait en considération les évolutions et les appréhensions de nos contemporains.

 

Hervé L’Huillier

 

 

Retour