L’Eglise et les entrepreneurs, nouveau regard  

Le 28 août dernier, le pape François a adressé un message aux entrepreneurs réunis à Longchamp par le MEDEF . Un tel geste n’est pas habituel. Même si ce texte reste marqué par des repères datés (opposition capital-travail, homme-machine, …), il porte en germe un regard radicalement nouveau qui appelle à des approfondissements beaucoup plus féconds que le contenu actuel de la doctrine sociale de l’Eglise, en particulier sur trois thèmes:

 

La souffrance de l’entreprise

L’entreprise souffre ; comme tout organisme vivant. Le message du Pape est court et principalement tourné vers la faillite, évidemment douloureuse. Ceci, nous le percevons surtout à travers les statistiques ou les informations sur les conflits internes. Mais le regard peut être largement étendu et s’humaniser. L’entreprise, même la grande entreprise, souffre dans son corps social pour s’adapter aux changements économiques, de ses tensions et rivalités internes, des convoitises externes, de l’acharnement médiatique dont elles peuvent être l’objet, des douleurs de l’enfantement et de la transmission, l’exposition permanente à des risques de plus en plus divers, … Il y a là un champ nouveau d’approfondissement. Jusqu’à quel point l’entreprise prend-elle conscience de ses fragilités, comment en parle-t-elle alors qu’elle est souvent perçue comme peu humaine et, se sachant fragile, alors comment contribue-t-elle à une culture du soin, de la réparation et de la solidarité générale ?

 

La vocation de l’entreprise pour le travail

Une des grandes souffrances de l’entreprise, particulièrement en France, tient à la difficulté de ne pas trouver ou fidéliser les salariés, jeunes notamment, dont elle a besoin. Il y va de la prospérité collective. Le message du Pape laisse entendre que la vocation politique et sociale de l’entreprise, tout autant que de répondre à des besoins de produits ou de services, c’est de créer de l’emploi, auquel cas il faudrait que l’entrepreneur affecte autant d’attention au travail qu’aux produits et services qu’il met sur le marché ? Jusqu’où doit nous emmener cette vision de l’entreprise comme faber laboris ? Ces derniers temps, les entreprises ont développé de nombreuses propositions, pas seulement salariales, pour attirer des candidats. C’est à peine si cela marche ; on sait que c’est un sujet sur lequel le gouvernement demande aux entreprises d’avancer plus loin. Il leur appartient peut-être de démontrer que le travail est autant sinon plus gratifiant que les loisirs pour l’accomplissement de soi et le bien de la société.

 

La responsabilité politique de l’entrepreneur

Nous sous-estimons sans doute la relation entre l’entreprise et la cité, parfois même voulons la cantonner au minimum. Pourtant, là où ils ou elles sont placés, les responsables de l’entreprise captent beaucoup de la vie du monde. La démarche de responsabilité sociale (RSE) met en évidence leur position au carrefour des attentes des actionnaires, des salariés, des clients, des fournisseurs, des voisins, des autorités locales, … En réalité, cela va beaucoup plus loin : les attentes des familles, les adaptations nécessaires du système éducatif, l’effet des réglementations, le besoin de beauté, les pénuries à venir, les cris du monde, ... Tout cela remonte vers ces responsables, dans une construction qui fait penser au panoptique de Jeremy Bentham. Que faire de tout cela qui leur donne une responsabilité et une légitimité dans la construction de la cité : alerte, synthèse, aide à la décision, … ? A plus forte raison, comment un réseau d’entrepreneurs peut-il mieux mettre au profit de tous ce qu’eux-mêmes peuvent percevoir ensemble ?

 

Hervé L’Huillier