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Observatoire Chrétien de l'Entreprise et de la Société

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Respecter les personnes implique-t-il de respecter les doctrines qu’elles professent ? La référence contemporaine au « dialogue » plutôt qu’au débat incite à répondre par l’affirmative. Ceci est spécialement vrai en matière de « dialogue des religions ». Mais, si l’on en croit les Evangiles, les deux ne vont pas forcément de pair.

 

Au sein du monde chrétien, la distinction traditionnelle faite entre les fidèles des diverses religions et les doctrines propres à ces religions est mise en cause. « On dépasse la simple interrogation sur l’attitude religieuse d’individus, si nombreux soient-ils, toujours considérés du point de vue de la conduite et des comportements qu’il leur revient personnellement d’adopter pour bénéficier, même s’ils sont de fait étrangers au christianisme, de ce que nous chrétiens nommons le salut. […] la question posée est bien plus précise : elle concerne directement les religions comme telles. C'est-à-dire : les religions comme institutions historico-sociales ayant leurs traditions et leurs livres saints, leurs rites et leurs mythes propres, leurs croyances et leurs pratiques spécifiques, leur organisation d’ensemble et leur fondateur même (lorsqu’elles en ont de fait un).(1) »

 

Dans une perspective postmoderne, le respect des personnes implique celui de leur choix de vie, dont celui des religions qu’ils professent. Le concile Vatican II a fait un pas dans la direction d’un tel respect. Il a affirmé, à propos des religions non-chrétiennes, que « L’Église catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions. Elle considère avec un respect sincère ces manières d’agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui, quoiqu’elles diffèrent sous bien des rapports de ce qu’elle-même tient et propose, cependant reflètent souvent un rayon de la vérité qui illumine tous les hommes. »(2)

Cependant ce pas fait par le concile reste limité par l’affirmation d’une plénitude propre au christianisme : « Toutefois, elle [l’Eglise catholique] annonce, et elle est tenue d’annoncer sans cesse, le Christ qui est ‘la voie, la vérité et la vie’ (Jn 14, 6), dans lequel les hommes doivent trouver la plénitude de la vie religieuse et dans lequel Dieu s’est réconcilié toutes choses ». Demeure, dans cette perspective, une hésitation entre ce que l’on peut dire des personnes et ce que l’on peut dire des doctrines. « Pour nous, affirme un haut responsable de la Curie, toutes les religions – ou plutôt tous les croyants – ont la même dignité. »(3)

Une volonté de respecter pleinement l’impératif de dialogue a conduit à envisager une théologie des religions non-chrétiennes beaucoup plus radicale. Il ne serait plus question de se contenter d’évoquer, comme le faisait le concile, « ce qui est vrai et saint dans ces religions », ce qui implique que tout n’y est pas vrai et saint, ou « un rayon de vérité », ce qui implique une vérité qui reste partielle. Il s’agirait de les considérer globalement comme des messages de salut. Les religions sont alors considérées en bloc : « Il est clair que les religions, loin d’être des erreurs qui empêchent l’homme de cheminer vers Dieu, loin d’être des phénomènes culturels qui ne jouent aucun rôle dans le déroulement du salut, loin d’être un travail du diable (ou, on entend ça !), sont en réalité le fruit de l’effort qu’on fait des êtres humains, dans des circonstances extrêmement différentes, au sein de communautés humaines variées et depuis toujours, pour exprimer leur expérience du Mystère qui nous fait vivre tous. »(4) Dans le rapport aux religions non-chrétiennes, il s’agit d’en reconnaître « la portée positive dans le dessein divin du salut. »(5) Il convient de « dépasser les préjugés, les amalgames et les rancœurs ».(6)

Mais si l’on trouve bien dans l’enseignement du Christ, une face qui relève de la tolérance et du dialogue, on trouve aussi une autre face beaucoup moins accommodante : un regard sans concession porté sur les faux prophètes et sur la capacité des humains à les suivre.

Dans l’Evangile, les personnes ne sont jamais vues comme enfermées sans rémission dans un passé qui les condamne. Mais on trouve un regard sans concession sur les doctrines, au premier chef des doctrines religieuses.

Pour Jésus tout message religieux n’est pas forcément respectable. Rien ne garantit la clairvoyance de ceux qui le propagent : « Malheur à vous, guides aveugles » (Mt 23, 15) ; « Aveugles » (Mt 23,19) ; « Guides aveugles » (Mt 23, 24) ; « Pharisien aveugle ! » (Mt 23,26). « Ce sont des aveugles qui guident des aveugles ! Or si un aveugle guide un aveugle, tous les deux tomberont dans un trou. » (Mt 15, 12-14). Ceux qui prêchent au nom du bien ne sont pas à l’abri de sentiments troubles. On les voit « remplis de fureur » (Lc 6,11). Ils tendent des pièges (Lc 11,53-54). Evoquer la parole de Dieu peut être fait de manière perverse. Satan lui-même en fait usage, pour inciter Jésus à se jeter dans le vide depuis le faîte du Temple  (Mt 4, 6).

De leur côté, ceux qui adhérent aux doctrines religieuses peuvent très bien s’être laissés séduire par de faux prophètes : « Des faux prophètes surgiront en nombre et abuseront bien des gens » (Mt 24,11) ; « Prenez garde qu’on ne vous abuse » (Mt 24 4) ; « Méfiez vous des faux prophètes, qui viennent à vous déguisés en brebis, mais au-dedans ce sont des loups rapaces. C’est à leurs fruits que vous les reconnaîtrez. » (Mt 7,15-17). 

Pour suivre la voie du concile, tout un travail de discernement sur les doctrines religieuses, au-delà des personnes qui les professent, serait à faire. Ainsi, on pourrait se demander si les grands fondateurs de religions n’ont pas été confrontés aux mêmes tentations que le Christ, en particulier de la tentation du pouvoir, et chercher à voir si, et dans quelle mesure, ils y ont succombé. On pourrait, pour ce faire, suivre le précepte évangélique selon lequel il convient de juger l’arbre à ses fruits : scruter les enseignements portés par les diverses traditions religieuses, examiner la vie des fondateurs, considérer leur postérité. Mais cette voie transgresserait sans doute trop l’éthique postmoderne du dialogue pour avoir quelque chance d’être empruntée dans la conjoncture actuelle. Ainsi les Instituts de science et de théologie des religions créés en France au sein des Instituts catholiques pour contribuer au dialogue des religions ne paraissent pas prêts à s’y engager.

 

Philippe d’Iribarne

 

(1)Joseph Doré, « La présence du Christ dans les religions non-chrétiennes », in Vingt ans de recherche théologique sur le dialogue interreligieux, Chemins de Dialogue 40, 2012, p. 57.

 

(2)Constitution Nostra aetate, n° 2

 

(3)Cardinal Jean-Louis Tauran, Président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, « Les enjeux du dialogue interreligieux aujourd’hui », in Vingt ans de recherche théologique sur le dialogue interreligieux, op. cit.

 

(4)Dennis Gira, « Foi chrétienne et ouverture au dialogue avec les religions du monde », Lumen Vitae, 2013’, p. 408.

 

(5) Jean-Marc Aveline, « Le dialogue interreligieux, chemin d’espérance pour l’humanité », in Vingt ans de recherche théologique sur le dialogue interreligieux, op. cit., p. 129.

 

(6) Ibid, p. 121.

 

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